« Une écriture qui a autant de consistance
que la terre à laquelle elle rend hommage »
Le jury du Prix du Style
« Marie-Hélène Lafon décrit superbement
un monde qui s'en va. […] Lumineux. »
François Busnel, L'Express
« Une immense jubilation. »
Christine Ferniot, Lire
« Marie-Hélène Lafon fait remonter à la surface
les sentiments anciens, les interdits qui durent,
les forces naturelles, les rituels d'église. »
Xavier Houssin, Le Monde des livres
« La Depardon de la littérature française. »
Clara Dupont-Monod, France inter
Les Pays
Marie-Hélène Lafon
prix du style 2012
Dernier volet d'une trilogie, Les Pays met en scène Claire, fille de paysans du Cantal.
En 2008, Les Derniers Indiens racontait la vie de ceux qui restent au pays et en meurent.
En 2009, L'Annonce esquissait la possibilité d'un avenir paysan et heureux.
Les Pays, véritable roman d'apprentissage, parle de ceux qui ont décidé de quitter le lieu d'enfance.
Claire sait qu'elle est née dans un monde qui disparaît. Son père le répète assez : ils sont les derniers. Très tôt, elle comprend que le salut viendra des études et des livres. Elle s'engage donc dans ce travail avec énergie et acharnement. Elle doit être la meilleure. Grâce à la bourse obtenue, elle monte à Paris, étudie en Sorbonne et découvre un univers inconnu. Pourtant, elle n'oubliera rien du pays premier et apprendra la ville où elle fera sa vie.
Joint aux Pays, Album est un abécédaire. Vingt-six proses poétiques évoquent l'enfance, ses couleurs, ses odeurs, ses paysages. Véritable déclaration d'amour répétée vingt-six fois, Album touchera le lecteur qui, comme Marie-Hélène Lafon, a quitté son pays d'origine et ne s'en remet pas.
Album, nouvelle édition augmentée de Cantal, paru aux Editions Quelque part sur terre, Aurillac, 2005.
Marie-Hélène Lafon
Marie-Hélène Lafon vit à Paris.
Elle est professeur de lettres classiques.
Tous ses romans, dont L'Annonce (prix Page des libraires 2009) et Les Pays (Prix du Style 2012), sont publiés chez Buchet-Chastel.
Extrait
« On resterait partis quatre jours. On logerait à Gentilly, dans la banlieue, on ne savait pas de quel côté mais dans la banlieue, chez des sortes d'amis que les parents avaient. C'était le début de mars, quand la lumière mord aux deux bouts du jour, on le voit on le sent, mais sans pouvoir encore compter tout à fait sur le temps, sans être sûr d'échapper à la grosse tombée de neige, carrée, brutale, qui empêche tout, et vous bloque, avec les billets, les affaires et les sacs préparés la veille, au cordeau, impeccables alignés dans le couloir ; vous bloque juste le jour où il faut sortir, s'extraire de ce fin fond du monde qu'est la ferme. On n'y passe pas, on ne traverse pas, on y va, par un chemin tortueux et pentu, caparaçonné de glace entre novembre et février quand il n'est pas capitonné de neige grasse ou festonné de congères labiles ; on s'enfonce, le chemin est comme un boyau, entre les noisetiers ronds et les frênes et d'autres arbres dont personne ne dit le nom, parce que l'occasion manque de nommer les choses, et pour qui, pourquoi, qui voudrait savoir. On prendrait le train à Neussargues, un train direct, sans changement jusqu'à Paris. Changer eût été difficile, voire exorbitant, ou périlleux ; à trois, on n'aurait pas su au juste où aller dans la gare de Clermont que l'on ne connaissait pas, où il aurait fallu prendre un souterrain, monter et descendre des escaliers, repérer un quai, en traînant les bagages, sans rien oublier sans rien perdre, surtout le gros sac bleu du père où étaient les cadeaux pour les amis, fromages, de deux sortes, cantal et saint-nectaire, et cochon maison, boudin terrine rôti saucisses, de quoi nourrir cinq personnes pendant quatre jours et plus. Le père aurait préféré partir en voiture ; jusqu'à Clermont c'est facile, il sait il l'a déjà fait, ensuite on se lance, on aurait suivi les panneaux, Paris est toujours indiqué. Le père avait insisté au téléphone, en janvier quand on s'était souhaité la bonne année et que le voyage avait vraiment été décidé. Cette fois c'était bon, on ne reculerait plus, depuis le temps qu'il s'en parlait, de ça, de venir à Paris quelques jours au moment du Salon, on devrait pouvoir s'arranger pour les bêtes à la ferme et partir à peu près tranquille, avec les gamins, les deux plus jeunes, la fille et le garçon, Claire et Gilles, qui n'avaient ja-mais vu la tour Eiffel. Au téléphone on n'entendait pas ce que disaient les amis de Gentilly, elle d'abord la femme, Suzanne, et lui ensuite Henri, l'homme, le Parisien le vrai, qui était né là-bas et avait l'accent pointu. On n'entendait que les paroles du père mais on comprenait que Suzanne avait appelé Henri, pour la voiture, pour expliquer au père qu'il n'imaginait pas, qu'il ne pouvait pas imaginer comment c'était d'arriver à Paris en voiture quand on n'avait pas l'habitude, et les directions dans tous les sens, les camions, les motos qui se faufilaient partout, il fallait savoir, ou suivre quelqu'un au moins la première fois, et encore même comme ça c'était difficile. Le père secouait la tête, il se sentait capable, il avait envie d'essayer, avec une bonne bagnole, qui tourne comme un moulin, comme ils font maintenant, on va par-tout. Il avait tordu le nez, et mordu sa bouche en dedans comme il faisait toujours quand il était contrarié, et répété, remâché que, pour les matchs de rugby, à Castres, à Cahors, à Brive et même plus loin, à Toulouse, il avait toujours su le trouver, le bon trou, il disait le bon trou, il était même connu pour ça, les autres qui étaient avec lui le laissaient faire et chaque fois à force de se glisser dans tous les coins, il se garait près des stades, à deux pas. Henri avait tenu bon, avait promis de lui mon-trer, sur place, de l'emmener faire un tour pour voir, constater que c'était impossible, ce qu'il aurait voulu, quitte à tout noter sur un papier, de se repérer aux panneaux publicitaires ou aux enseignes, aux immeubles, aux bâtiments, comme à l'entrée de Clermont ; on n'avait pas le temps d'hésiter une seconde, il fallait anticiper, se placer dans la bonne file dès le début. Les Parisiens n'avaient pas cédé. Pour cette première fois, ils iraient par le train. Ils arriveraient à la gare de Lyon, sur le coup de sept heures, bien gentiment, sans se fatiguer. Henri viendrait les cueillir sur le quai, les trois, avec les sacs et les paquets, et direction Gentilly. »
Les Pays, Marie-Hélène Lafon, pages 13 à 17.
Collection : Littérature française
Parution : 06 septembre 2012
ISBN : 978-2-283-02477-5
208 pages – 15 €